À propos des téterelles

L’utilisation des téterelles a pris des proportions épidémiques en Amérique du Nord et en Europe. Les téterelles sont perçues comme la solution à la plupart des problèmes d’allaitement, des bébés qui ne prennent pas le sein à la douleur aux mamelons, jusqu’à leur utilisation de routine pour les bébés prématurés. La seule perception que les mamelons de la mère sont « plats » amène souvent la recommandation d’utiliser la téterelle sans qu’on ait même tenté de mettre le bébé au sein. Cela se produit alors qu’il n’y a aucune preuve que l’utilisation des téterelles est sécuritaire ou qu’elles font ce que l’on attend d’elles : « introduire les téterelles durant la première semaine post-partum peut sembler être une solution facile pour une famille découragée, mais une telle intervention peut retarder une évaluation exhaustive de la dyade mère-enfant afin de déterminer les raisons ayant rendu difficile l’allaitement et pourra causer davantage de problèmes, comme un transfert sub-optimal du lait, des mamelons douloureux et une baisse de la production de lait chez la mère. La généralisation de l’utilisation des téterelles comme intervention en tout début d’allaitement peut transmettre un message erroné aux mères que l’allaitement va bien et que l’utilisation est sécuritaire. La disponibilité grandissante des téterelles en vente libre envoie aussi le message aux mères que leur usage est la norme et ne nécessite pas qu’on s’en soucie. » En médecine clinique, il est généralement accepté que l’on doit prouver la sûreté et l’utilité d’une intervention, en l’occurrence des téterelles, avant que l’on puisse les recommander.

La recommandation d’utiliser la téterelle se fait sans égard pour le long terme, non seulement quand cela est fait dans les premiers jours, mais même quand la mère dont le bébé a commencé à refuser le sein à cause d’une diminution tardive de la production de lait. Cela est particulièrement néfaste quand elle est utilisée pour faire accepter le sein à un bébé dans les premiers jours alors que beaucoup de bébés refusant le sein au départ l’accepteront quand le débit de lait augmentera au troisième ou quatrième jour. Les questions que l’on devrait se poser sont : « Dans une telle situation, comment la mère arrivera-t-elle à cesser d’utiliser la téterelle? », « Quel effet l’utilisation de la téterelle aura-t-elle sur la production de lait à court et à long terme? », « Quels autres effets secondaires la téterelle peut-elle avoir? » et « Qu’arrive-t-il aux mères et aux bébés lorsqu’ils oublient la téterelle à la maison avec un bébé qui refuse le sein sans elle? »

La question la plus importante est de savoir si on ne pourrait pas intervenir autrement qu’en introduisant la téterelle. Je suis convaincu, après avoir aidé les mères à allaiter durant 33 ans, qu’il n’y a rien que l’on puisse accomplir avec une téterelle qui ne pourrait être accompli de meilleure manière sans y avoir recours. Si un bébé peut prendre la téterelle, le bébé devrait pouvoir prendre le sein. Le problème est que plus on utilise la téterelle, moins les gens ont d’expérience pour appliquer ou rechercher d’autres solutions. Et la téterelle est une solution attrayante parce qu’elle semble fonctionner rapidement, et même instantanément. Tout le monde adore les solutions instantanées. Malheureusement, la patience est nécessaire pour régler certains problèmes d’allaitement; la patience est de mise tant chez la mère que chez l’intervenant qui souhaite l’aider. Il n’y a rien de mal à attendre quelques jours qu’un bébé prenne le sein si, en attendant, on donne à la mère des outils. Je crois aussi qu’une grande partie du travail de consultant en lactation est de conseiller la mère et une part importante de cela est de conseiller la patience et de fournir une solution temporaire qui amènera à un allaitement réussi à long terme. Pour chaque problème pour lequel on utilise une téterelle, il y a une véritable solution qui tient compte de la relation d’allaitement à long terme.

Quels sont les problèmes reliés à l’utilisation de la téterelle?

1. Soyons honnêtes : un bébé qui prend la téterelle ne prend pas le sein, c’est une illusion de croire le contraire. Allaiter avec une téterelle n’équivaut pas à allaiter directement. Peu importe à quel point la téterelle est mince, ce n’est pas le sein. Donc pourquoi un bébé qui semble « prendre le sein » avec la téterelle refusera-t-il le sein? Au lieu que le bébé prenne le sein nu, doux, souple, malléable, ce qui est un processus actif, la téterelle, qui n’est ni douce, souple ou malléable est poussée dans sa bouche. Le « mamelon » de la téterelle a une texture bien plus dure que le mamelon de la mère et est plus large et plus long. La téterelle transforme le sein en biberone, en quelque sorte. Avec une téterelle dans la bouche, le bébé utilise sa langue et le muscles de ses joues comme il le ferait avec une biberon ou une suce, et non de la manière dont il le ferait au sein. Pour recevoir du lait, la succion du bébé doit être forte lorsqu’une téterelle est utilisée. Quand le bébé boit directement au sein, il utilise un procédé entièrement différent. Il stimule le sein afin que le lait coule jusqu’à lui. Ce fait est évident parce que la plupart du temps, il est très difficile de faire prendre le sein directement à un bébé qui a pris l’habitude de boire avec une téterelle. Si la façon de boire était la même comme l’affirment plusieurs, il n’en serait pas ainsi.

2. Quelques personnes croient que la téterelle est un outil pour enseigner au bébé à boire au sein. C’est la raison pour laquelle on utilise la téterelle si fréquemment chez les bébés prématurés. Or comme je l’ai montré précédemment, cela est illusoire.

3. Un bébé qui boit à la téterelle ne boit pas au sein. Un bébé qui boit à la téterelle ne fera jamais ce qu’il devrait faire au sein. Enlever un bébé qui tète à la téterelle est très facile, contrairement à ce qui arrive quand un bébé tète au sein directement.

4. L’une des principales causes de la baisse de production de lait au fil du temps est que la prise du sein du bébé n’est pas optimale. Par exemple, quand un bébé a un frein de langue serré. Mais un bébé tétant à une téterelle n’est pas au sein du tout, et donc avec le temps, la production de lait pourrait diminuer. La raison pour laquelle cela ne fait pas consensus est que dans un petit nombre de cas, lorsque la mère a une production de lait très abondante, le bébé et elle vont arriver à continuer l’allaitement durant plusieurs mois, mais si la production de lait diminue suffisamment, le bébé va commencer à refuser de prendre le sein sans la téterelle et/ou va se montrer très insatisfait au sein, avec comme résultat l’introduction de suppléments à la bouteille. Cela se produit souvent dans les semaines suivant la naissance. Si la production de lait de la mère était abondante au départ, cela aurait dû faciliter la mise au sein lors de la première semaine de vie du bébé.

5. Lorsque le débit de lait est réduit en raison d’une mauvaise prise du sein, ce qui inclut l’utilisation de la téterelle, la mère peut commencer à souffrir de façon récurrente de canaux bloqués, de mastites et même d’abcès. Les canaux bloqués et les mastites arrivent d’abord alors que la mère a une bonne production de lait mais que le bébé prend mal le sein et que le sein est mal drainé. C’est exactement ce qui arrive lorsqu’on utilise une téterelle.

6. Même si les téterelles devraient régler les problèmes de mamelons douloureux, certaines mères développent des mamelons douloureux en les utilisant. Pour plusieurs, la douleur est pire avec la téterelle.

7. Nous devons réitérer que lorsqu’un bébé est habitué à la téterelle, il est difficile de lui faire prendre le sein directement. Les mères réalisent qu’elles ne souhaitaient pas vraiment utiliser une téterelle, mais on leur a enlevé l’opportunité d’allaiter directement au sein. Ceux d’entre nous qui travaillent avec des mères et des bébés utilisant une téterelle constatent qu’il est plus difficile de le faire boire directement au sein que si une bouteille avait été utilisée, ce qui ne signifie pas que la bouteille soit une bonne solution. Plus le bébé est âgé, plus c’est difficile.

8. Un énorme problème avec l’utilisation de la téterelle est que la mère peut croire que la téterelle a réglé tous les problèmes et qu’elle n’a plus rien à faire, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Habituellement, une mère vient nous consulter alors que sa production de lait a diminué à cause de la téterelle et son bébé se montre irrité au sein couvert de la téterelle, est insatisfait et ne reçoit plus autant de lait qu’avant. Plus cette situation perdure, plus il sera difficile de mettre le bébé au sein. Donc téterelle + diminution de la production de lait en raison de la téterelle = du plus en plus de difficulté à faire prendre le sein au bébé.

Même si certains croient que la téterelle résout certains problèmes d’allaitement, les risques associés à son utilisation (voir plus haut) devraient nous faire reconsidérer cette option. Tout traitement médical causant autant de problèmes ne serait jamais autorisé par les organismes chargés des politiques de santé publique.

Prévenir le « besoin » d’utiliser la téterelle

Les causes des problèmes précoces en allaitement incluent les pratiques modernes entourant l’accouchement, ne pas permettre au bébé de ramper jusqu’au sein immédiatement après la naissance, l’absence de contact peau à peau entre la mère et le bébé, la séparation de la mère et du bébé, souvent sans raison valable, l’introduction précoce de tétines artificielles, l’alimentation en suivant un horaire, et l’utilisation du pourcentage de poids perdu pour déterminer la bonne marche de l’allaitement.

Les bébés ont souvent du mal à prendre le sein après la naissance en raison des grandes quantités de solutés intraveineux donnés à la mère pendant et après le travail. Les liquides donnés en soluté intraveineux passent vers le bébé, ce qui a pour effet que le bébé est « sur-hydraté » à la naissance et qu’il perd ainsi plus de poids, approche du redouté 10% de perte de poids (pour lequel, soi dit en passant, il n’existe aucune base scientifique) et la panique prend possession du personnel médical. De plus, les mamelons de la mère sont souvent en œdème en raison de la sur-hydratation et le bébé a donc de la difficulté à prendre le sein. La solution pour régler ces problèmes est d’aider la mère et le bébé à réussir une bonne prise du sein. Cela nécessitera peut-être d’avoir recours au « reverse pressure softening » du sein. Il faudra aussi comprendre comment voir qu’un bébé reçoit du lait au sein ou n’en reçoit pas. La solution n’est pas la téterelle.

La forme du mamelon est une excuse fréquemment utilisée pour donner une téterelle à la mère. Les liquides intraveineux sont l’une des causes des « mamelons plats ». Étonnamment, les mamelons ne sont plus plats une fois que la mère a évacué l’excès de liquide (diurèse), mais cela ne se produit que plusieurs jours plus tard, trop tard si elle a commencé à utiliser une téterelle. L’une de nos patientes s’est fait imposer une téterelle alors qu’elle était encore sur le lit d’accouchement, avant même qu’elle n’ait essayé de mettre le bébé au sein une première fois. Avec un peu d’aide à notre clinique, le bébé a pris le sein, mais pas sans des difficultés importantes. Mais il a pris le sein et a fini par être allaité exclusivement, et non nourri à la téterelle. Aucune forme de mamelon – « plat », « ombiliqués » – ne devrait rendre la prise du sein impossible et être une raison pour utiliser une téterelle.

Les raisons les plus fréquemment invoquées pour recommander l’utilisation de la téterelle sont les suivantes :

1. Le bébé ne prend pas le sein.

2. Les mamelons de la mère sont douloureux.

3. Le bébé est prématuré.

Le bébé qui ne prend pas le sein

Certains bébés refusent le sein dès le départ, pour des raisons qui ne sont pas toujours évidentes. Il semble que ce fait ait toujours été connu. Au début du XIXe siècle, Goethe a commenté cela dans sa pièce Faust où Méphistophélès dit à un élève :

So nimmt ein Kind der Mutter Brust
Nicht gleich im Anfang willig an,
Doch bald ernährt es sich mit Lust.
So wird’s Euch an der Weisheit Brüsten
Mit jedem Tage mehr gelüsten.

Voici une pauvre traduction de Goethe:

L’enfant, à qui on offre le sein de la mère,
Ne le prendra pas au début;
Mais bientôt le prend avec passion.
Et ainsi au sein de la connaissance
Vous boirez chaque jour avec plus de passion.

Les pratiques hospitalières actuelles sont orientées vers des solutions instantanées, mais cela doit changer et on devrait créer une atmosphère où les mères et les bébés ne sont pas pressés ou forcés de mettre le bébé au sein aussi vite que possible, immédiatement.

Ils est fréquent que les mères reçoivent des liquides intraveineux durant et après l’accouchement, ce qui a souvent comme conséquence de causer l’œdème des mamelons et des aréoles. Cet œdème va diminuer, ce qu’il est important de constater, et cette constatation nous aidera à développer la patience nécessaire pour éviter de nous précipiter vers une téterelle. Il est aussi fréquent que des mères reçoivent une péridurale et/ou une anesthésie rachidienne. Les faits démontrent fortement que les médicaments utilisés affectent les bébés et les rendent confus ou endormis. Encore une fois, la patience est primordiale. Comment devrait-on agir?

Ramper vers le sein. Laisser le bébé peau à peau avec la mère immédiatement après la naissance et lui permettre de ramper jusqu’au sein et de le prendre est particulièrement important. Cela devrait primer sur la pesée, le bain et de nombreuses autres pratiques qui interfèrent avec le fait de le laisser ramper et prendre le sein. Laisser ramper le bébé jusqu’au sein peut prendre une heure ou plus et évidemment, cela est en contradiction avec les pratiques hospitalières actuelles.

• Même après que le bébé ait rampé jusqu’au sein, les mères et les bébés devraient être en contact peau à peau autant que possible.

Chaque bébé devrait être évalué pour le frein de la langue à la naissance. Cela devrait faire partie de la routine autant que l’évaluation de la respiration ou du cœur du bébé.

• Dès qu’on a un doute sur la prise du sein par le bébé ou sur le fait qu’il boit ou non au sein, le lait de la mère devrait être tiré et donné au bébé avec une cuiller ou une tasse, et non à la bouteille ou à la téterelle.

Le personnel hospitalier, incluant les sages-femmes, les infirmières, les médecins et les consultants en lactation doivent savoir comment aider un bébé réticent à prendre le sein lorsqu’il montre les premiers signes de faim. Il y a une véritable technique pour aider les bébés à bien prendre le sein et ceux qui utilisent la téterelle dès le début de leur formation n’apprennent jamais cette technique. Ils se précipitent sur la téterelle.

La mère devrait être rassurée quant au fait que son bébé va éventuellement prendre le sein et elle devrait commencer à exprimer son lait de façon manuelle. On devrait lui montrer comment nourrir son bébé à la tasse et/ou à la cuiller et comment faire prendre le sein à son bébé.

Le suivi d’un bébé qui ne prend pas le sein devrait se faire un ou deux jours après le départ de l’hôpital par quelqu’un qui a de l’expérience avec les bébés refusant de prendre le sein.

Les mamelons douloureux

Les mamelons douloureux sont presque toujours causés par une prise du sein inadéquate. Peu importe de quoi a l’air la prise du sein de l’extérieur, si la mère ressent de la douleur, quelque chose ne va pas avec la prise du sein du bébé. Par exemple, il y a environ un an, j’ai été appelé pour aller voir le petit-fils d’un bon ami. Le bébé avait 36 heures à mon arrivée. La mère commençait à avoir les mamelons douloureux et le bébé n’était jamais satisfait après la tétée et pleurait constamment. Cela m’a pris une minute pour régler le problème en aidant la mère à faire prendre le sein différemment à son bébé. Je lui ai aussi montré à faire des compressions du sein et pour la première fois, le bébé a bien tété et était calme. Je dirais que la plupart du temps, cela est possible et beaucoup plus facile que si le bébé avait trois semaines et était habitué à la téterelle.

Donc, la clé pour prévenir des problèmes comme les mamelons douloureux est de s’assurer que le bébé a une bonne prise du sein et boit bien. Cela signifie que rapidement après la naissance, quelqu’un devrait observer une tétée et si la mère se plaint de douleur, quelque chose devrait être fait, et ce quelque chose n’est pas « essayer une téterelle ». Si l’évaluation du frein de la langue a été faite et que c’est nécessaire, on devrait rapidement libérer la langue en procédant à une freinectomie.

D’autres mesures, comme l’utilisation d’onguents sur les mamelons, peuvent être envisagées. La téterelle n’est pas la solution.

Les bébés prématurés

La téterelle n’est pas un moyen d’enseigner à un prématuré ou à tout autre bébé « comment téter ». Les bébés apprennent à boire au sein en buvant au sein et en recevant du lait au sein.
Selon des travaux Scandinaves et de Columbia, les bébés peuvent et devraient être mis au sein à partir d’environ 27 semaines de gestation. Il a été démontré que l’approche nord-américaine de ne pas permettre l’allaitement avant 34 semaines de gestation nuit aux bébés prématurés qui apprennent à prendre le sein. L’idée selon laquelle ils doivent apprendre à prendre la bouteille avant d’être allaités est pour le moins bizarre.

Que dire des mères qui soutiennent que la téterelle a sauvé leur allaitement?

Nous allons le répéter : il n’y a rien que l’on puisse faire avec une téterelle qui ne puisse pas être mieux fait sans. Des moyens peuvent être mis en place pour aider les mères à allaiter qui élimineront le besoin d’utiliser la téterelle à la source. La raison pour laquelle on entend des histoires où « la téterelle a sauvé l’allaitement » est la même que dans les histoires où « quelques bouteilles de formule dans les premiers jours ont sauvé l’allaitement ». C’est peut-être vrai, mais une meilleure façon existait pourtant. Pour chaque mère qui croit que la téterelle a sauvé son allaitement, il y a d’innombrables mères qui ont connu une baisse de production, le refus du sein, des mamelons douloureux et un sevrage précoce. Les moyens que l’on utilise pour aider une mère à allaiter sont importants et devraient permettre à la mère et au bébé de développer les compétences nécessaires à une relation d’allaitement harmonieuse et durable.

Avez-vous des problèmes d’allaitement? Avez-vous besoin d’aide?  Faites un rendez-vous a notre clinique d’allaitement.

Droits d’auteur: Jack Newman, MD, FRCPC, Andrea Polokova, 2017, 2020